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21 avril 2018

MOM : Loi asile et immigration : lettre ouverte aux sénateurs

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs,

Le collectif Migrants outre-mer souhaite attirer votre attention sur le projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration sur lequel vous serez prochainement appelé-e-s à vous prononcer.
Ce collectif rassemble les principales associations agissant aux niveaux national et local pour la défense des droits des personnes migrantes en outre-mer et dispose à ce titre d’une expertise sur l’état des pratiques et les politiques migratoires mises en œuvre dans ces territoires.

Un laboratoire ultramarin de recul des droits au prétexte d’une invasion migratoire fantasme

En matière d’immigration, force est de constater que les territoires ultra-marins constituent un laboratoire de reculs des droits [1], notamment par l’instauration de législations et dispositifs  dérogatoires au droit commun, portant violation des droits fondamentaux des personnes migrantes, qui sont, par la suite, généralisés à la France entière.
En effet, ce projet de loi vise à la généralisation des audiences par visioconférence [2] et conforte la procédure luttant contre les reconnaissances de paternité frauduleuses, circonscrites jusqu’à présent dans certains territoires ultramarins [3].
Depuis de nombreuses années et au prétexte d’une invasion migratoire sur ces territoires largement fantasmée [4], un régime dérogatoire du droit commun y prévoit des droits au rabais qui facilitent les interpellations, autorisent l’exécution des expulsions  sans contrôle d’un juge et réduisent l’accès au droit au séjour.
Ce projet de loi confirme cette logique en prévoyant de nouvelles dispositions dérogatoires qui aggravent en Guyane les conditions d’accueil des personnes en demande d’asile et restreignent à Mayotte les conditions de délivrance du document de circulation pour les mineur-e-s de nationalité étrangère.

Un régime dérogatoire qui sacrifie des droits fondamentaux

En matière de contrôle d’identité, des dispositifs de contrôle exceptionnels qui s’affranchissent des garanties les plus élémentaires sont mis en place [5]. En Guyane, des barrages de gendarmerie sont installés sur les deux principaux axes routiers qui desservent Cayenne et ses administrations, instituant ainsi des contrôles d’identité généralisés, sur la route nationale qui longe la côte où réside plus de 90% de la population guyanaise, lesquels constituent des obstacles au droit à la santé ou encore au principe d’égalité d’accès aux services publics qui génèrent notamment de graves entraves au dépôt de demandes de carte de séjour.
Ce régime d’exception vient également tailler dans les garanties de contrôle juridictionnel des procédures d’enfermement et d’expulsion.
Alors que ces territoires concentrent la moitié des expulsions réalisées chaque année, l’effectivité des recours contre les décisions préfectorales n’est pas garantie contrairement à la métropole. Si le dépôt d’un recours en urgence suspend désormais l’éloignement jusqu’à son examen [6], son champ d’utilisation reste restrictif et la majorité des renvois sont exécutés sans avoir pu enclencher cette procédure.
Mayotte reste le seul territoire où le contrôle de la procédure de placement en rétention et des conditions d’enfermement est quasi inexistant : le juge compétent intervient après cinq jours d’enfermement (contre 48 heures dans le reste de la France), alors que les personnes sont généralement expulsées en moins de 24 heures et que son centre de rétention y accueille massivement des personnes particulièrement vulnérables comme des enfants.
Le statut des personnes en situation régulière est également dégradé sur ces territoires, à l’image de la suppression ou l’inapplication des garanties d’accueil durant la procédure de demande d’asile (abaissement en Guyane voire absence à Mayotte de l’aide financière sans possibilité de travailler, quasi inexistence de dispositif d’hébergement et domiciliation des personnes en demande d’asile concentrée à Cayenne) ou encore la restriction géographique de la validité des titres de séjour et des autorisations de travail en découlant.
Sous couvert de prévenir un supposé appel d’air, ces dispositions conduisent à précariser les personnes migrantes, à réduire l’accès à leurs droits et à freiner leur intégration une fois régularisées.

Une politique qui attise le rejet des personnes étrangères et justifie des violences

Nous constatons que cette politique migratoire, qui a pour objectif de réduire les mouvements de population pourtant régis par des dynamiques régionales historiques, est dans l’impasse. Elle participe des tensions sociales de plus en plus violentes en alimentant l’idée d’une immigration massive comme facteur des inégalités économiques et sociales sévissant dans les outre-mer.
Cette approche répressive s’applique dans un contexte où les infrastructures et les services publics sont bien souvent faibles voire inexistants, notamment en matière d’accès aux administrations, à l’éducation, aux logements et aux soins [7]. La saturation de ces dispositifs, pourtant chroniquement sous dimensionnés, nourrit les discours politiques qui stigmatisent les personnes étrangères désignées comme responsables de ces carences. Les tensions très fortes et les violences exercées à l’égard des personnes migrantes, en particulier à Mayotte depuis 2016, sont autant de dérives auxquelles conduit cette politique.

Pour un changement de politique

Le collectif Migrants Outre-mer défend des mesures permettant de garantir un accueil digne et le respect des droits fondamentaux pour tous et sur l’ensemble du territoire français, notamment [8] à travers les propositions suivantes :

Aligner la législation applicable en outre-mer sur le droit commun et mettre ainsi un terme à un régime d’exception contraire à un État de droit, qui justifie des droits au rabais et permet tous les abus, notamment en priorité 
- rendre suspensifs les recours contre toute mesure d’éloignement
- rétablir à Mayotte l’intervention du juge judiciaire sous 48 heures à compter du placement en rétention
 supprimer les dispositifs exceptionnels de contrôle
rendre pleinement applicables sur l’ensemble du territoire français les titres de séjour délivrés en outre-mer et notamment à Mayotte
 rétablir des conditions d’accueil dignes pour les demandeurs d’asile en Guyane et à Mayotte en leur garantissant le bénéfice des aides prévues en métropole, et la fourniture d’un hébergement et d’une domiciliation effective pendant leur procédure
- Mettre un terme à l’enfermement des enfants en rétention, notamment à Mayotte où il s’opère massivement (4 285 enfants enfermés en 2016) et sans contrôle.

Par ailleurs, il est temps de penser autrement la présence des territoires ultramarins dans leur environnement. En isolant de plus en plus les uns des autres par un fossé économique croissant, par une frontière de plus en plus infranchissable, par des dénis de droit quotidiens à l’égard des « étrangers » venus des territoires voisins, on ne fait qu’éloigner la perspective d’une solution durable aux tensions actuelles.
Nous espérons pouvoir vous compter parmi celles et ceux qui soutiendront ces positions et nous nous tenons à votre disposition pour en discuter.
Vous remerciant de votre attention, nous vous prions de recevoir, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, nos meilleures salutations.

Migrants Outre-Mer (Mom)
Paris, le 18 avril 2018

Signataires :
ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), Aides, CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), La Cimade, Collectif Haïti de France, Comede, Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrées), Elena, Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), LDH (Ligue des droits de l’Homme), MDM (Médecins du monde), Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), OIP (Observatoire international des prisons).

[2] Articles 6, 10, 12 et 16 et du projet de loi.
[3] Articles 30 du projet de loi.
[4] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3288449 : un solde migratoire déficitaire entre 2010 et 2015 dans les départements d’outre-mer et très légèrement en augmentation en Guyane (moins de 0,4%).
[5] Législations dérogatoires (voir le dernier paragraphe de l’article 78-2 du code de procédure pénale) permettant de contrôler l’identité des étrangers en situation irrégulière sur un périmètre plus étendu.
[6] Article L.514-3 Ceseda.
[7] Une seule maternité pour plus de 250 000 habitants à Mayotte + https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285646 + https://www.insee.fr/fr/statistiques/3181903
[8] Collectif MOM, « L’outre-mer dans le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » présenté par le gouvernement le 21 février 2018 – Outre-mer : le non droit est un jeu dangereux ».

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27 mars 2018

Mayotte : La machine à expulser à plein régime


Expulsions à plein régime et enfermements illicites de personnes étrangères : l’impasse de la politique du gouvernement à Mayotte

La machine à expulser à plein régime

Une course effrénée aux expulsions est lancée. Des camions de gendarmerie sont postés un peu partout sur l’île. Des bus scolaires sont réquisitionnés et affrétés pour transporter les personnes interpellées.
La préfecture de Mayotte organise des rafles et des interpellations de masse de personnes, suivies de placements en rétention et d’expulsions en direction des Comores avec de multiples violations des droits.

03 juin 2011

L’île de Mayotte départementalisée, une nouvelle étape dans la guerre aux « migrants comoriens » ?

Le 15 mars dernier, l’Union des Comores décidait que désormais « aucun passager ne sera accepté à embarquer ou à débarquer aux ports et aux aéroports s’il n’est détenteur de sa pièce d’identité ». Rien d’original dans cette décision. Tous les États de la planète agissent de même. Pourtant, l’ambassadeur de France à Moroni « regrette cette décision unilatérale et brutale » ; par mesure de rétorsion, ses services devraient cesser de délivrer des visas aux rares Comoriens susceptibles d’en obtenir.

Rien d’original sauf que, pour l’ONU et pour l’ensemble de la communauté internationale, l’Union des Comores est un archipel composé de quatre îles – la Grande Comore, Mohéli, Anjouan et… Mayotte [1]. C’est en effet en violation du droit international que la France a conservé Mayotte dans son giron en 1974 et vient, le 2 avril 2011, d’en faire le 101e département français.

Rien d’original dans la décision des autorités comoriennes, sauf qu’elle vise leurs innombrables ressortissants ou supposés tels expulsés depuis Mayotte – 26 405 pour la seule année 2010 –, très souvent sans aucune preuve qu’ils ou elles soient effectivement comorien⋅ne⋅s [2].

Parmi ces personnes, certaines pourraient prétendre à la nationalité française mais rien ne permet de le prouver car, dans ce département singulier, les « Français » oubliés par l’état civil ne sont pas rares [3]. La force des liens culturels, linguistiques, familiaux qui unissent les habitants de l’archipel n’est pas plus reconnue dans cette course aux quotas d’expulsion qui permet à cette île d’environ 200 000 habitants de comptabiliser presque autant de « reconduites à la frontière » que l’ensemble de la métropole. Depuis l’instauration du visa « Balladur » en 1995, les voisins ont en effet été transformés en « étrangers », la matérialisation électronique et policière de la « frontière » se renforce, un tiers de la population qualifiée de « comorienne » subit une traque quotidienne. La poursuite en mer des kwassa kwassa, ces barques légères transportant celles et ceux qui tentent de venir ou de revenir vers Mayotte, est meurtrière : depuis 15 ans les victimes se comptent par centaines ou par milliers, un naufrage avec une dizaine de disparu⋅e⋅s a encore été signalé le 30 mars.

La départementalisation risque d’accentuer cette hécatombe en coupant plus que jamais Mayotte des autres îles de l’archipel. Elle devrait s’accompagner d’une extension des droits et des possibilités de recours juridiques pour les personnes étrangères… si les logiques xénophobes ne primaient pas. Mais en cette matière comme en d’autres (par exemple dans le domaine de la protection sociale et de la santé), l’égalité des droits sur les sols métropolitains et mahorais n’est évoquée qu’à une échéance bien lointaine et le règne des dérogations ne paraît pas devoir connaître de fin.

Le processus de départementalisation d’une terre qui n’est « française » qu’aux yeux de l’État français est donc loin d’être porteur d’espoir de l’amélioration du sort d’une large partie de la population. Il entrave et complique encore les évolutions et les coopérations institutionnelles de la région. Plus que jamais, il paraît impossible d’envisager un avenir harmonieux de Mayotte sans l’abolition du si meurtrier « visa Balladur », sans droit à la circulation au sein de l’archipel des Comores, ni respect des droits fondamentaux de tous et de toutes.

Le 4 avril 2011
Notes

[1] Voir une vingtaine de résolutions de l’ONU de 1975 à 1994 ; récente résolution de l’Union africaine (Addis-Abeba, 30-31 janvier 2011).

[2] Pour satisfaire les autorités comoriennes, le préfet de Mayotte envisage une solution originale : un procès verbal d’une audition par un policier au cours de la garde à vue attestant la nationalité comorienne de la personne devrait valoir état civil comorien.

[3] Rapport relatif au statut de Mayotte par M. Didier Quentin fait au nom de la commission des lois de l’assemblée nationale, 17 novembre 2010 – Extraits et autres informations.

Voir notre dossier « Mayotte » - Gisti

Voir le site du Gisti