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30 janvier 2017

FIN DU DÉLIT DE BLASPHÈME, ENFIN !

JORF n°0024 du 28 janvier 2017
  LOI n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté (1)
 NOR: LHAL1528110L
 L’Assemblée nationale et le Sénat ont délibéré,
 L’Assemblée nationale a adopté,
 Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-745 du 26 janvier 2017 ;
 Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : 
/..
 Article 172
 Le code pénal local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est ainsi modifié :
 1° L’article 166 est abrogé ;
 2° L’article 167 est ainsi rédigé : 
 « Art. 167. - Les articles 31 et 32 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État sont applicables. » 

 Le texte du Journal Officiel ci-dessus ne le dit pas expressément, mais il est l’aboutissement d’un long combat contre une survivance d’un passé révolu : le délit de blasphème, l’interdiction de critiquer, dénoncer ou caricaturer toute idéologie, même religieuse.
 Il convient ici de rappeler quels sont les textes que la loi abroge ou modifie de manière importante. Il s’agit d’articles du Code pénal local d’Alsace et de Moselle, hérité du Code pénal de l’Empire d’Allemagne qui avait annexé ces territoires entre 1871 et 1918. En voici la teneur :
 Article 166 
Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnus comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus.
 Article 167 
Celui qui, par voie de fait ou menaces, aura empêché une personne d’exercer le culte d’une communauté religieuse établie dans l’État, ou, qui, dans une église ou dans un autre lieu destiné à des assemblées religieuses, aura, par tapage ou désordre volontairement empêché ou troublé le culte ou certaines cérémonies du culte d’une communauté religieuse établie dans l’État, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus.
 L’article 166, celui qui concernait le délit de blasphème proprement dit est purement et simplement abrogé.
 L’article 167, sur les entraves au libre exercice des cultes, est remplacé par deux articles d’une loi nationale française :
 Article 31
Sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.
 Article 32
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
 Deux constats : les peines encourues par les délinquants sont singulièrement allégées et surtout, dans les trois départements qualifiés de concordataires, donc non concernés par la loi de Séparation de 1905, y voir deux articles de cette dernière rendus applicables est assez savoureux !
 Il convient de noter que l’initiative de cette mesure est d’initiative parlementaire, par voie d’amendement à une loi un peu fourre-tout ... Le gouvernement, en effet, s’était refusé à ouvrir quelque débat législatif que ce soit sur les régimes dérogatoires religieux en Alsace et Moselle. 
 Les obstacles ne manquaient pas : la réticence gouvernementale partait de la crainte de se heurter à des réflexes identitaires régionaux. La Chancellerie d’autre part considérait la mesure comme inutile puisque l’article 166 n’avait plus donné lieu à condamnation depuis des lustres et que sa non traduction officielle de l’Allemand le rendait peut-être inapplicable. De plus certains représentants du culte musulmans réclamaient son maintien, voire son extension au territoire national (alors que les représentants des cultes chrétiens et israélites avaient fini par admettre le caractère anachronique de ce texte dans la société d’aujourd’hui).
 Toujours est-il que la suppression de la référence à un prétendu délit de blasphème dans le Code pénal retire des moyens de procédure aux mouvements extrémistes, chrétiens et/ou musulmans, qui trouvaient là l’opportunité d’obtenir des tribunes médiatiques : ce fut le cas ces dernières années pour des actions engagées (heureusement sans suite) contre une pièce de l’auteur dramatique Roméo Castellucci ou contre Charlie Hebdo.
 Cette suppression constitue une victoire du mouvement laïque qui la réclamait depuis très longtemps. Elle démontre qu’il est possible de revenir sur les régimes dérogatoires religieux de certains territoires de la République. Des privilèges dont le Conseil constitutionnel a rappelé depuis 2011 qu’ils n’avaient qu’un fondement historique, qu’ils étaient provisoires et qu’ils ne pouvaient évoluer que par un rapprochement avec le droit national.
 Cette victoire n’a que peu d’impact concret immédiat, mais c’est une victoire symboliquement très importante. Dans le contexte plutôt morose actuellement, ne boudons pas notre plaisir !
 Michel SEELIG
30 janvier 2017